Ballade du Noël désiré

Saint-Georges de Bouhélier, La Grande Pitié (recueil de poèmes, 1945)
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Saint-Georges de Bouhélier par Charles Gir.jpg
Portrait par Charles Gir (1919)
                                    I
 
Pour nous sauver de cette pourriture
Où nous tombons avant que d’être morts,
Pour nous tirer de cette sépulture
Qui nous a pris le cœur avant le corps,
Vienne un Messie ! Ô superbe nature,
Fasse le ciel que nous soit accordé
Un nouveau Christ ! Chantez au long des granges
Et sur les flots des fleuves débordés,
Et dans les champs où saignent les vendanges :
Christ à Noël nous soit ressuscité !
 
 
                                    II
 
Par les chemins tout encombrés d’ordures,
Dans les forêts, dans les champs, dans les ports,
Depuis des ans, l’espoir en vain me dure
De celui-là – qui, sans nul passeport,
Et sans bandeau ni superbe vêture,
Viendra remplir les desseins demandés,
Fera sortir les lys d’or de nos fanges,
Et nos amours aux astres accorder
Et sur nos corps pousser des ailes d’anges !
Christ à Noël nous soit ressuscité !
 
 
                                    III
 
Sur cette terre, hélas ! à l’homme dure
Et meurtrière, où nul ne veut d’amour,
Il fut un âge où, par l’investiture
De l’Éternel, Christ criait aux vautours
De desceller leurs serres de tortures !
Mais nous voilà par le crime inondés
Et sans secours, en cette voie étrange
Où les démons entre eux nous jouent aux dés,
Pauvres humains que la douleur mélange !
Christ à Noël nous soit ressuscité !
 
 
                                Envoi
 
Père du ciel, des brebis, des archanges,
Et des poissons dont les lacs sont bondés,
Et des brouillards qui en neige se changent,
N’est-il donc plus de ventre non fardé
Pour enfanter le héros sans mélange ?
Christ à Noël nous soit ressuscité !
 
 
 
SAINT-GEORGES DE BOUHÉLIER,
La Grande Pitié.

Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Stéphane-Georges Lepelletier de Bouhélier (Rueil 19 mai 1876 – Montreux 20 décembre 1947) dit Saint-Georges de Bouhélier. 

Poète, il débute dans les années de « crise du symbolisme », où se dessine une réaction contre l’hermétisme de Mallarmé et les abstractions du symbolisme. C’est ainsi qu’il participe à l’émergence du « naturisme » dans la Plume, avant de fonder, en 1897, la Revue naturiste, dévolue à un renouveau poétique associant la simplicité de l’expression à une perception plus immédiate de la vie. Si la nouvelle école fait long feu, elle inspirera son œuvre poétique (Églé ou les Concerts champêtres, 1897 ; Chants de la vie ardente, 1902), ses romans, et il en fera la théorie dans Éléments d’une renaissance française (1899). C’est au théâtre sans doute qu’il parviendra le mieux à opérer cette synthèse curieuse de vérisme et de symbolisme qu’il prônait, particulièrement dans le Carnaval des enfants (1910). Il compose également, parmi d’autre pièces, un Œdipe roi de Thèbes, que montera Firmin Gémier en 1919, ainsi qu’une Tragédie de Tristan et Yseult (1923) et le Sang de Danton, grande fresque révolutionnaire (1931).